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Le design actif : on va vous donner envie de bouger

Le design actif est une approche d’aménagement qui transforme l’espace pour inciter subtilement les habitants à marcher, jouer, explorer et interagir avec leur environnement. Cet aménagement urbain centré sur le design actif, issu des sciences du comportement, vise à créer des espaces qui stimulent l’activité physique et renforcent l’appropriation des lieux par leurs usagers. Loin des panneaux d’interdiction et de la signalétique froide, il invite au mouvement par la curiosité, la surprise et le plaisir visuel.


1. Quand la psychologie comportementale rencontre la ville

Bien avant l’ère moderne, les sociétés ont structuré les déplacements par le biais d’informations visuelles intégrées à l’architecture :

L’un des exemples les plus frappants se trouve dans le palais de Cnossos en Crète, construit par la civilisation minoenne vers 1900-1700 av. J.-C.. Ce vaste complexe, parfois surnommé le « labyrinthe » de Minos, utilisait déjà des codes visuels pour orienter les visiteurs. Les sols, les fresques murales et même la disposition des colonnes étaient pensés pour signaler des zones spécifiques et créer des repères sensoriels. Certaines fresques de dauphins, par exemple, identifiaient des espaces liés à la mer ou à la détente, tandis que des motifs géométriques récurrents marquaient des axes de circulation. L’art ne décorait pas seulement le palais, il participait directement à sa lisibilité et à la gestion des flux, dans un lieu immense et complexe.


Cela en fait un ancêtre direct des approches que l’on retrouve plus tard à Rome dans les thermes impériaux, avec cette même idée de fusionner esthétique et fonctionnalité pour guider l’expérience.

À la Renaissance, les perspectives des jardins et des places publiques étaient pensées comme un guide visuel du mouvement. Dans les jardins de Versailles, par exemple, les longues allées rectilignes, les bassins en enfilade et les points de fuite vers des statues ou pavillons incitaient les visiteurs à parcourir de grandes distances tout en leur offrant une succession de vues spectaculaires.

Au XIXᵉ siècle, l’urbanisme moderne poursuit cette logique en y ajoutant des objectifs de circulation et de sécurité. L’aménagement des trottoirs par Haussmann à Paris n’était pas seulement une question de confort : il créait des axes clairs pour canaliser les flux piétons. La signalétique graphique, comme celle du plan du métro de Londres de 1933 conçu par Harry Beck, simplifiait la compréhension de réseaux complexes, orientant les usagers et optimisant leurs déplacements.

Au XXᵉ siècle, ce rapport entre image et trajectoire s’enrichit de la science comportementale avec l’apparition des nudges. Le terme nudge (« coup de pouce » en anglais), popularisé par Richard Thaler et Cass Sunstein dans Nudge: Improving Decisions About Health, Wealth, and Happiness (2008), désigne une incitation douce : une modification de l’environnement qui influence le comportement sans imposition, par le biais de l’architecture de choix.



L’exemple emblématique : la mouche gravée dans les urinoirs de l’aéroport de Schiphol aux Pays-Bas, introduite au début des années 1990 par Jos van Bedaf, responsable propreté. Inspiré par l’idée de cibles visuelles, il fit graver une petite mouche au centre de chaque urinoir. Résultat : réduction estimée de 80 % des éclaboussures et environ 8 % d’économie sur le budget nettoyage des toilettes publiques. Ce cas est devenu l’exemple favori de Richard Thaler pour illustrer un nudge simple et efficace.

Depuis, les nudges visuels se sont multipliés : escaliers peints en touches de piano à Stockholm, parcours colorés reliant des lieux stratégiques dans certaines villes canadiennes… partout, le principe est le même : faire bouger sans contraindre.


2. Design actif, la renaissance urbaine

Pendant longtemps, la réglementation française en matière d’aménagement visuel de l’espace public s’est voulue particulièrement stricte. Cette rigueur n’était pas dénuée de sens puisqu’elle visait à garantir une cohérence visuelle accessible à tous. Les marquages au sol, la signalétique et les aménagements de voirie répondaient à des normes précises, permettant à chacun de comprendre le même langage visuel, partout sur le territoire. Cette uniformité offrait ainsi un repère commun, indispensable à la sécurité et à la lisibilité de l’espace public. Mais, à force de voir les mêmes codes et les mêmes formes reproduits partout, ils finissent parfois par se fondre dans le décor, jusqu’à ne plus capter notre attention.

À l’inverse, dans certains pays, notamment en Amérique du Nord, la liberté laissée aux acteurs publics a permis, il y a une dizaine d’années, l’émergence d’initiatives spectaculaires et innovantes. Délestées de contraintes réglementaires lourdes, ces démarches ont transformé l’espace public en véritable terrain d’expérimentation, mêlant formes, couleurs et usages inattendus. Cette audace surprend, interpelle, sensibilise et mobilise, en redonnant au passant l’envie de regarder et de s’approprier son environnement.



Dès 2013, la ville de New York, sous l’impulsion de Bloomberg Philanthropies et en partenariat avec des agences de santé publique et d’urbanisme, a instauré un Executive Order exigeant que tous les nouveaux projets de construction municipale, ainsi que les rénovations majeures, intègrent les principes du design actif. Cette initiative s’inscrivait dans le prolongement du Active Design Guidelines publié en 2010, qui a servi de référence nationale. Elle incluait la mise en valeur des escaliers par rapport aux ascenseurs, l’installation de signalétiques incitant à leur utilisation, l’aménagement de pistes cyclables sécurisées et de cheminements piétons agréables, ainsi que des dispositifs favorisant la marche, le vélo et les autres formes de transport actif dans l’ensemble du cadre bâti. L’objectif était clair : stimuler l’activité physique quotidienne, améliorer la santé publique et redonner aux habitants le plaisir de se déplacer autrement dans leur ville.

Ces expériences, relayées au fil des années, ont fini par atteindre les oreilles et les yeux des décideurs publics français. Progressivement, les mentalités ont évolué et la réglementation s’est assouplie. Il est désormais possible de conduire des phases d’expérimentation validées par le ministère de l’Intérieur lorsqu’il s’agit d’espace de voirie. Même si ces démarches restent longues et exigeantes, elles offrent désormais un véritable levier pour tester des interventions innovantes dans l’espace public. Grâce à cette ouverture, des collectivités peuvent désormais s’engager dans le design actif. Des guides, élaborés par l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires, en lien avec les programmes Action Cœur de Ville et Terre de Jeux 2024, voient le jour.



Parmi les premières à avoir engagé une expérimentation de grande ampleur, la ville de Blois se distingue. Les élus ont fait appel à PALM, équipe spécialisée dans les projets de peinture artistique à grande échelle et sur tous types de supports. En collaboration avec des artistes locaux, PALM a imaginé des compositions colorées et dynamiques autour de trois groupes scolaires. Objectif : renforcer la visibilité des passages piétons, signaler les zones de traversée et réduire les comportements à risque. Les résultats sont nets : 65 % des parents constatent un ralentissement des véhicules, 69 % estiment que les pistes cyclables sont mieux identifiées et 76 % jugent que la sécurité des enfants a été renforcée. Plus de 95 % des riverains trouvent que ces fresques ont embelli la rue, confirmant que l’esthétique et la fonctionnalité peuvent se renforcer mutuellement.


3. Une infinité d’usages pour réinventer la ville

Le design actif, aujourd’hui, ne se limite plus aux marquages au sol des passages piétons. Il s’affirme comme un outil modulable, capable d’agir sur tous les supports de l’espace public et de répondre à une grande variété d’enjeux. Sols, murs, mobilier urbain, zones techniques… chaque surface peut devenir un vecteur d’usage, d’identité et de comportement positif.

Le programme Sécurité by Art de la Fondation Renault et PALM prolonge l’élan initié par l’expérimentation locale de Blois, mais à l’échelle nationale. Chaque année, deux à cinq villes françaises liées à l’histoire industrielle du constructeur bénéficient de ces interventions. La priorité reste la sécurité et à la visibilité autour des espaces de circulation aux abords des écoles, afin de favoriser le respect des règles et de sensibiliser l’ensemble des usagers. Les projets sont conçus avec les habitants et intègrent des références au patrimoine local, transformant la voirie en un langage commun, fonctionnel et porteur de sens. Aux Mureaux, à Boulogne-Billancourt ou à Cléon, les créations deviennent en même temps repères visuels, supports de dialogue et symboles d’identité collective.


À Mur-sur-Allier, un parcours sportif et visuel a été créé au cœur du village de montagne. Pensé comme une boucle sans début ni fin, il devient en même temps un repère spatial et un fil conducteur dans le quotidien des habitants. Tracés dynamiques, couleurs vives et accents graphiques contemporains viennent bousculer le décor traditionnel d’un bourg rural, insufflant une énergie nouvelle et réveillant l’image d’un lieu au patrimoine typique, mais en quête de vitalité. Adapté à tous les niveaux, ce circuit se parcourt en 45 minutes à 1h30 selon la condition physique, et alterne montées, escaliers, zones planes, espaces de repos et d’étirement. Loin de toute logique de performance, il invite à varier les efforts et à solliciter différentes parties du corps, offrant ainsi une routine d’exercice simple, quotidienne et accessible à tous.



En luttant contre la sédentarité, ce « mal du siècle » qui touche aussi bien les jeunes que les adultes, le parcours répond à un enjeu de santé publique majeur. Passer de longues heures assis, que ce soit à l’école, au travail ou à la maison, augmente les risques de maladies cardiovasculaires, de diabète ou de troubles musculo-squelettiques, tout en réduisant l’énergie et le bien-être global.

Ici, l’aménagement propose une solution simple et locale : un exercice régulier, à faible contrainte et intégrée au quotidien. Accessible à tous, il permet de remettre le mouvement au cœur de la vie du village, non pas par la performance, mais par le plaisir et la constance, deux leviers essentiels pour ancrer de nouvelles habitudes sur le long terme.

Il est aussi une porte d’entrée touristique : il guide les curieux à travers les points clés du village, révélant ses atouts et créant un itinéraire cohérent où chaque étape a du sens.



L’usage de tracés contemporains et de couleurs vives, presque flamboyantes, donne une visibilité maximale au parcours et insuffle une nouvelle énergie à ce village de montagne au charme typique, mais marqué par le temps. Ce travail graphique, assumé et affirmé, bouscule les codes visuels traditionnels et offre au site une identité renouvelée, plus dynamique et tournée vers l’avenir.

Cette transformation trouve un écho naturel dans les quartiers urbains en rénovation ou en transition. Là aussi, l’art et le design actif jouent un rôle clé : motifs au sol, mobilier réinventé, fresques murales… l’espace public se pare de signes visibles qui incarnent le changement.

Pour les habitants, c’est un signal clair : le quartier évolue, se réinvente, et chacun peut en être acteur. Pour les visiteurs, c’est la preuve que la ville est vivante, en mouvement. Le carrefour des Limites (Raymond Queneau), à la jonction de quatre collectivités (Bobigny, Pantin, Noisy-le-Sec et Romainville) illustre cette dynamique avec un projet artistique pensé pour créer une continuité visuelle et symbolique entre plusieurs territoires, affirmant haut et fort un message de renouveau.

Dans certains bâtiments publics ou collectifs, les cages d’escalier se transforment en véritables galeries d’art. Fresques immersives, motifs dynamiques et palettes chromatiques stimulantes créent un environnement agréable qui incite à emprunter les escaliers plutôt que l’ascenseur. Ce geste simple, multiplié par des centaines d’usagers chaque jour, devient un levier discret, mais efficace de mobilité douce et de santé préventive.



Même les zones techniques ou utilitaires peuvent être repensées. Les espaces de recyclage, locaux à vélos, abris de tri sélectif ou zones de stockage deviennent, grâce à l’art et à la couleur, des lieux visibles et attractifs. Ce changement d’image encourage des comportements responsables et favorise l’appropriation collective. En mettant en valeur ces espaces, on envoie aussi un message fort : la mobilité douce, le tri ou le réemploi font partie intégrante de la vie quotidienne et méritent un traitement esthétique digne de l’espace public central.


Conclusion

Le design actif n’est pas qu’une affaire d’esthétique ou de décoration. C’est une stratégie d’aménagement qui place l’humain, sa santé et sa relation à l’espace au cœur de la ville. Pour qu’il tienne ses promesses, il doit s’appuyer sur une implication forte des habitants dès la conception, afin que chaque intervention devienne leur histoire et leur fierté. Les projets les plus aboutis naissent d’une alliance étroite entre art et ingénierie, où l’innovation technique se met au service de la beauté et de l’usage.

Sa réussite dépend aussi de la souplesse des cadres réglementaires, indispensables pour tester et ajuster les dispositifs avant leur déploiement à grande échelle. La durabilité ne se limite pas au choix de matériaux résistants et écoresponsables : elle inclut l’anticipation de l’entretien et de la maintenance, afin de préserver dans le temps l’impact visuel et fonctionnel des aménagements. Concevoir des œuvres qui vieillissent bien, dont les couleurs et les formes conservent leur attrait même après plusieurs années, est une condition essentielle pour que l’effet initial perdure.

Enfin, un design actif, réellement vivant doit rester adaptable. Les interventions qui évoluent avec les usages, les saisons ou les événements locaux continuent de surprendre et de susciter l’engagement. Car au fond, l’ambition n’est pas seulement de peindre un trottoir, un mur ou un mobilier urbain, mais de créer un langage visuel qui inspire, qui rassemble et qui accompagne le mouvement des villes et de leurs habitants.